Dans le cadre du cycle Espaces Spéculatifs Depuis 2017, Alec de Busschère développe le projet Possible Tracks for Short Cuts, expérience audio-visuelle hybride mêlant vidéo, son et texte.
© Jean Goosens
Empruntant aussi bien au langage cinématographique qu’au langage informatique, l’œuvre se compose d’une série de courtes prises de vues (short cuts), d’ambiances sonores (tracks) et d’extraits de textes agencés de façon aléatoire, selon les variantes produites par un algorithme. Le résultat, tour à tour onirique, sombre, inquiétant ou mélancolique, évoque autant d’histoires possibles, tels des trailers, des génériques de séries ou des résumés d’épisodes ...
Présentée sur un écran vertical faisant face au spectateur et adaptée au lieu via une mise en abyme, l’œuvre propose une déambulation indéterminée dans le ventre de la ville, dans des lieux dépourvus de présence humaine, inaccessibles au public, qui participent de sa « grande machinerie ».
Accompagnés des mots des textes de Laurent de Sutter et des sons de Youri Balcers, cette exploration poétique et aléatoire de lieux non identifiés nous amène à revoir notre rapport à la réalité et à considérer ces lieux comme autant d’espaces fictionnels témoins de nos propres cheminements physiques et mentaux.
La toile devient un portail spatio-temporel qui nous projette d’un espace à un autre, d’une ville à une autre, d’une ambiance à une autre. Le format vertical se réfère directement au format pictural ainsi qu’à l’écran de nos smartphones, à cet écran qui brouille constamment notre rapport entre réalité et fiction en faisant coexister dans un même espace deux temporalités ambivalentes : celle intangible de l’internet et des réseaux sociaux et celle du monde physique et palpable qui nous entoure.
La conception algorithmique de Possible Tracks for Short Cuts réalisée par Patrice Gaillard propose un canevas rudimentaire ouvert à n’importe quel état possible du virtuel qui s’enrichit par l’intégration constante d’éléments aussi divers que du texte littéraire, du code informatique, de la vidéo, du son, du graphisme et de la peinture. Puisant librement dans ces éléments qu’elle associe à des images de lieux existants, l’œuvre propose à chaque instant une nouvelle interprétation automatique et mécanique du rapport entre réel et fiction.
Créé in situ à l’échelle de la ville, ce projet représente des vues d’intérieur d’infrastructures fondamentales à la gestion et au développement de la ville contemporaine : centres de tri, dispatchings, pôles décisionnels, institutions culturelles, archives, etc. En les filmant de l’intérieur, l’artiste efface la temporalité qui leur est associée pour donner l’illusion d’un monde post humain, sans vie, éclairé de manière artificielle, qui poursuit inlassablement ses opérations et pose la question : avons-nous créé les bases d’un monde capable de tourner sans nous ?
Le fait de dépeindre des intérieurs permet en outre de dresser le portrait d’une ville selon une vision inversée. Alec De Busschère abolit le paysage urbain, la « skyline », pour venir se pencher sur les entrailles de la ville, sur ses organes internes et ses milliards de vaisseaux sanguins représentés par ces multitudes de câbles, tubes, conduits qui se déploient dans tous les sens, transpercent les murs, et créent des espaces monstrueux.
En associant toutes ces vues de lieux, l’artiste vient ainsi recréer des identités particulières pour chacune des villes filmées, comme autant de personnages. La somme de ces identités diverses est ce qui participera ensuite à l’émergence d’une mégapole immense. L’algorithme construit de nouvelles géographies en proposant une déambulation urbaine mondiale, rendue possible par le fait que ces lieux n’ont en eux-mêmes pas d’identité propre en dehors de celle que leur accorde leur fonction, ce qui permet de les resituer aussi bien à Paris, à Mexico, à Shanghai, à Bruxelles, etc. Des non-lieux, dépourvus de dimension affective, débarrassés de toutes conceptions préalables, et par là même interchangeables au sein de notre monde globalisé.
Déjà présentée en 2017 à la 9ème Biennale de Louvain-La-Neuve, l’œuvre apparaissait alors comme une déambulation dans ce qui fait la spécificité de la cité universitaire (laboratoires, auditoires, bibliothèques, chantiers, etc.) soutenue par des extraits issus du texte de Samuel Beckett « Oh les Beaux Jours ».
Pour la seconde version élaborée à Bruxelles en 2019, l’œuvre explore en coulisse une série d’infrastructures et d’opérateurs incontournables de la ville donnant une pleine perception de son fonctionnement interne : institutions culturelles (BOZAR, KANAL, iMAL, Cirque Royal, Archives de la Ville de Bruxelles), pôles décisionnels (Commission Européenne, Palais d’Egmont), centres de contrôle (STIB, SNCB), centres de tri (tri postal, incinérateur, stations d’épuration), etc.
Cette troisième présentation de l’oeuvre est ici spécifiquement adaptée pour le Centre Wallonie-Bruxelles I Paris, grâce à la réalisation de séquences vidéos à l’extérieur et à l’intérieur du bâtiment ; ce dispositif fait du CWB une zone de transit qui mènera rapidement le spectateur dans les antres de Bruxelles, à travers des plans filmés pendant l’été 2019.
Possible Tracks for Short Cuts entend ainsi poursuivre son évolution en proposant des versions in situ dans chacune des villes rencontrée afin d’établir pour chaque nouvelle exposition une relation particulière entre le spectateur et l’algorithme.
PRODUCTION
Conception - Alec De Busschère (2019)
Production - UNEXISTANT asbl
Développement de l’algorithme - Patrice Gaillard
Sound design - Yuri Lewitt avec l’aimable participation de Teuk Henri à la guitare
Textes - Laurent de Sutter
Etalonnage - Cobalt Films
Caméra - Simon Moirot / Vincent Pieraerd /Alec De Busschère
Post-production - Simon Moirot
Assistantes de production - Julie Larrouy & Julie Goossens
Design graphique - Sunny Side Up
Repérage des lieux de tournage - Laurence Fagnoul
Avec le support des Arts Numériques de la Fédération Wallonie-Bruxelles