Un moment d’étude de l’oeuvre pluridisciplinaire et multilingue de Gayatri Spivak : théorie littéraire, traduction, philosophie politique, études postcoloniales, études de genre, anthropologie.
Direction : Mireille Calle-Gruber, Sarah-Anaïs Crevier Goulet, Philippe Daros
Organisation :
La Sorbonne Nouvelle - Paris 3, le Collège International de Philosophie, Columbia Global Centers l Paris, le Centre de Recherches en Etudes féminines et genre /Littératures francophones (CREFEG/LF), l’ EA 172 CERC, l’Ecole Doctorale ED 120, les Editions des femmes et l’Association Ethnomusika.
Contact : sirogh55@hotmail.com
Programme
11h Mireille Calle-Gruber, Sarah-Anaïs Crevier Goulet, Philippe Daros
Accueil et ouverture
« En d’autres mondes, en d’autres mots »
11h30 - 12h30 Etienne Balibar (Université Paris 10-Nanterre)
Autour de la Postcolonial Reason
12h30-13h30 Gayatri Chakravorty Spivak (Columbia University New York)
Accounting for my Work
« [T]rying my self out, as ephemeral teller, to you, a subaltern, a gendered subaltern »
15h-15h30 Ritu Birla (Université de Toronto)
The Disjuncture of Subjectivity and Agency in Spivak : Capital, The Critique of Identity Politics, and the « Gendered Epistemic Body »
15h30-16h Mireille Calle-Gruber (Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3)
Gayatri Spivak et Assia Djebar. Du genre impossible : l’autobiographie postcoloniale
16h Discussion
16h30-17h Pause-café
« Learn to learn from below »
17h-17h30 Claudine Le Blanc (Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3)
Lier pour lire ? Spivak, les double bind et l’enseignement de la littérature
17h30-18h Myriam Suchet (Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3)
Indiscipliner la machine éducative : une perspective relationnelle
18h-18h30 Discussion
Pour consulter le programme complet cliquez ici
Gayatri Chakravorty Spivak aura tôt fait l’expérience des contradictions qui nourrissent les grands mouvements des XXème et XXIème siècles. Née à Calcutta cinq ans avant l’indépendance indienne, dans une famille brahmanique de culture marxiste originaire de la partie occidentale du Bengale, un « Etat démocratique parlementaire » gouverné par des communistes, Gayatri Chakravorty assiste très jeune aux violences religieuses entre hindouistes et musulmans qui marquent les changements politiques et les constructions identitaires de son pays.
Lecture du Capital, sensibilisation à une culture féministe par son entourage, engagement dans le domaine du genre et de la différence sexuelle, études universitaires à Calcutta où elle obtient une maîtrise d’anglais, puis aux Etats-Unis où elle est d’abord Professeur à l’Université de l’Iowa puis à Columbia University New York où elle enseigne depuis 1991. Elle a fondé au Bengale un programme de formation d’instituteurs et d’écoles pour les enfants des zones rurales et des minorités ethniques (1986), puis, élargissant son action, elle a créé en 1997 l’ONG The Pares Chandra and Sivani Chakravorty Memorial Education Project, spécialisée dans l’éducation des enfants des régions les plus pauvres du monde.
Sa traduction de De la grammatologie de Jacques Derrida, en 1976, permet la découverte du philosophe aux Etats-Unis, et la fait connaître d’un large public, ainsi que son texte Can the Subaltern speak ? (Les Subalternes peuvent-elles parler ? trad. Jérôme Vidal, Paris, Editions Amsterdam, 2009), avec lequel elle signe, en 1988, son intervention incontournable et novatrice dans le champ des études postcoloniales.
Les rencontres de Paris, qui se veulent d’abord un moment d’étude de l’oeuvre de Spivak, s’inscriront dans un travail pluridisciplinaire et multilingue, permettant d’articuler les champs de ses recherches et de ses activités militantes ; et de prendre la mesure des stratégies qu’elles requièrent : théorie littéraire, traduction, philosophie politique, études postcoloniales, études de genre, anthropologie, éducation, histoire.
Les intervenants, venus de différents espaces géopolitiques et linguistiques, pourront ainsi confronter analyses et expériences, et considérer la portée de la méthodologie de Spivak dont le caractère non-dogmatique s’appuie sur des « quasi-concepts », comme les nomme Etienne Balibar qui en compte au moins cinq :
la notion de « subalterne », empruntée à Gramsci, qui désigne ainsi une catégorie de population et une position sans identité, donnant lieu aux subaltern studies c’est-à-dire à l’étude des processus de mise au silence et de refoulement des minorités (femmes, minorités ethniques, pauvres du « quart monde ») ;
la notion de « voix » qui opère la déconstruction des représentations du sujet et permet d’entrer dans le champ de l’ « écriture » où se jouent contraintes et dominations mais aussi les possibles « transactions entre idiomes hétérogènes » ;
la réflexion sur les modalités de la « subjectivation », de la « politique culturelle » et sur les affrontements entre apprentissages (learning) et désapprentissages (unlearning) ;
la « stratégie » qui est un autre mot-clé chez Spivak pour toute déconstruction d’une domination, c’est-à-dire toute stratégie d’émancipation où il y va moins de pragmatisme que de fiction et de performativité ;
« planétarité » qui est le terme que Spivak préfère au convenu « cosmopolitisme », conférant une dimension écologique et énergétique aux rapports des humains.
Cependant, elle développe également, qu’elle oppose à l’uniformisation de l’Etat-nation, la notion de « régionalisme critique », ce qui permet de penser des situations juridiques et socio-culturelles mouvantes et instables ; d’élaborer une réflexion mobile, transfrontalière.
La volonté de procéder de façon souple, selon des approches en traduction-translation et dans une cohérence sans rigidité, donne à cette pensée en mouvement un impact fort dans les domaines artistiques, privilégiant notamment la performativité, les fictions, la littérature. Et dotant l’imagination d’une puissance critique.
Les rencontres de Paris entendent aussi poursuivre les ouvertures pratiquées par Gayatri Chakravorty Spivak, et faire valoir en quoi ce travail pionnier – pratique, théorique, spéculatif, champ de la création – peut frayer la voie à des recherches et actions conséquentes.
Ainsi des dispositifs concernant l’éducation ; du déplacement des moyens de déconstruction dans l’espace géopolitique ; de la lecture des sans-voix dans la littérature contemporaine ainsi que dans les écrits postcoloniaux (sans oublier le rapport singulier de Spivak à l’oeuvre d’Assia Djebar), ou encore de ses positions quant à la littérature indienne contemporaine.
Sans oublier non plus ses travaux plus récents autour de W.E.B. Dubois, historien et écrivain, figure majeure des premières luttes pour les droits civils des Africains-Américains.
Bref, ce qu’il s’agit de penser, avec Gayatri Chakravorty Spivak, et qui fait le fond même des questionnements aujourd’hui, ce sont les termes d’une nouvelle « sécularisation » du politique, en dehors des catégories de l’humanisme traditionnel.